ISTITUTO ITALIANO PER GLI STUDI FILOSOFICI accueil

Paul Oskar Kristeller (Columbia University)

Message aux Nations-Unies

Je désire exprimer ma totale approbation pour l’appel en faveur de l’enseignement de la philosophie et de son histoire ainsi que de la recherche humaniste dans les principaux collèges d’enseignement secondaire, lycées et universités de tous les pays, que Monsieur Gerardo Marotta, Président de l’Istituto Italiano per gli Studi Filosofici de Naples a lancé en son nom et au nom de nombreux autres instituts et chercheurs, aux principales autorités de l’Education Nationale de tous les pays et aux Nations-Unies.
La philosophie, ainsi qu’une recherche humaniste approfondie, touchant à la fois les domaines de l’histoire, de la littérature, des langues classiques et modernes, sont à présent quasiment négligées dans tous les pays au profit de problématiques contemporaines d’histoire, de littérature, de politique et d’idéologie ; l’étude approfondie des mathématiques et des sciences naturelles est subordonnée à une technologie dont l’utilité est largement reconnue ; et une grande importance est accordée à des doctrines de valeur discutable et aux sciences dites sociales, tout aussi discutables, mais dont la validité relève d’une prétendue capacité de prévoir l’avenir, ce qui se révèle immédiatement faux, tout comme les prétendus pouvoirs que l’astrologie, l’alchimie et d’autres sciences occultes revendiquaient dans le passé. 
Ces théories actuelles, bien que tout à fait discutables pour ce qui est de leurs fins, leurs méthodes et leurs résultats, sont largement soutenues alors que de nombreuses disciplines plus solides sont rejetées sur la base d’argumentations la plupart du temps acceptées, bien que tout à fait erronées. La recherche “traditionnelle” est rejetée non seulement à cause de l’importance qu’elle reconnaît à la tradition occidentale, depuis la Grèce antique jusqu’à l’Europe et à l’Amérique d’aujourd’hui, mais aussi à cause de l’indifférence qu’elle manifesterait à l’égard d’autres cultures asiatiques ou africaines, ou à l’égard de l’apport des femmes ou des populations non-occidentales vivantes dans les pays occidentaux.
Je partage entièrement l’opinion qui veut que le droit à l’instruction, ainsi qu’à tous les secteurs de notre société, soit accordé à tous sans discrimination, au sein de notre population, soit-elle noire, asiatique, indienne d’Amérique, féminine, et aux ressortissants soient-ils juifs, irlandais, italiens ou polonais (victimes dans un passé encore tout récent de graves discriminations mais qui à présent, ayant été arbitrairement catalogués comme blancs, sont à leur tour vus comme les oppresseurs de leurs voisins africains, asiatiques ou indiens d’Amérique). Tout aussi arbitraire est la discrimination vis-à-vis des hispaniques considérés comme une minorité, beaucoup d’entre eux étant blancs ou mixtes. La réponse du système éducatif à ces abus du passé ne doit pas se traduire par un renversement de la discrimination ni par une baisse du niveau, que le présent encourage d’ailleurs de manière insensée autant à cause de l’incompétence des étudiants africains ou asiatiques que des étudiants blancs. On sait bien qu’il y a beaucoup d’étudiants africains et asiatiques très compétents et l’on reconnaît à l’unanimité que le seul critère valable pour l’admission aux lycées et aux universités doit être le mérite individuel de chaque étudiant qu’il soit blanc, noir, indien d’Amérique, garçon ou fille. Ce fait est conforté par la plupart des étudiants plus compétents de sexe féminin ainsi que par les noirs africains.
La charge des cours de civilisation asiatique, africaine et non-occidentale de tous les niveaux ne devrait en principe être confiée qu’à des professeurs ayant reçu dans leur spécialité une préparation dans le domaine de la linguistique, de l’histoire et de la littérature tout aussi rigoureuse et avancée que celle que les professeurs traditionnels de civilisation occidentale ont reçue quant à son histoire, sa littérature et sa philosophie.
En ce qui concerne la philosophie, tous les étudiants de n’importe quel institut devraient recevoir une préparation adéquate dans les disciplines philosophiques telles que l’histoire de la philosophie, la logique, l’éthique, la théorie politique et peut-être aussi la rhétorique et la métaphysique. L’enseignement de ces disciplines devrait habituer tous les étudiants compétents, quel que soit leur sexe, leur race, leur classe sociale, leur origine religieuse ou ethnique, à penser, à discuter, à soutenir toute idée estimée valable et à rejeter par de solides argumentations toute idée estimée non valable. La tendance actuelle à remplacer les argumentations solides par des protestations criardes et des manifestations violentes doit être critiquée, bannie, voire censurée. L’argumentation souvent avancée par les étudiants incompétents et ignorants, à savoir leur prétention de ne vouloir connaître aucun des événements qui se sont produits avant leur naissance, doit être fermement rejetée et ils devraient être obligés d’apprendre à reconnaître que le monde où nous vivons est déterminé par de nombreux événements et pensées du passé, et qu’il est donc pour nous un devoir, voire un privilège, de connaître le passé au plus haut degré. Ils doivent aussi apprendre à comprendre que nombre d’événements du passé, d’aujourd’hui et de demain ne sont ni influencés ni déterminés par des volontés d’actions humaines individuelles ou collectives, mais par des forces supérieures et divines, qu’il s’agisse de dieux propres à chaque religion ou bien de pouvoirs plus impersonnels, reconnus également par ceux d’entre nous qui ne suivent aucune tradition religieuse en particulier.

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